lundi 31 mai 2010

Joyce Mansour « Pericoloso Sporgersi »

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Je nagerai vers toi
A travers l’espace profond
Sans frontière
Acide comme un bouton
De rose.
Je te trouverai homme sans frein
Maigre, englouti dans l’ordure
Saint de la dernière heure
Et tu feras de moi ton lit et ton pain
Ta Jérusalem.

                                     *

Je me mirais dans ma brosse à ongles
Admirant mon ventre carré
Mes dents de fauve
Mes yeux incarnés
Attendant l’arrivée de l’incertain
Somptueusement habillée de mousse de savon et de merde
Petit perroquet dans une cage trop dorée
Lasse de ne rien faire avec autorité.
Je rêve de tes mains silencieuses
Qui voguent sur les vagues
Rugueuses, capricieuses,
Et qui règnent sur mon corps sans équité.
Je frissonne, je me fane
En pensant aux homards
Les antennes ambulantes, âpres au gain,
Qui grattent le sperme des bateaux endormis
Pour l’étaler ensuite sur les crêtes de l’horizon
Les crêtes paresseuses, poussiéreuses du poisson,
Où je me prélasse toutes les nuits
La bouche pleine, les mains couvertes,
Somnambule marine salée de lune.

                                  *

Noyée au fond d’un rêve ennuyeux
J’accueillais l’homme,
L’homme cet artichaut drapé d’huile noire
Que je lèche et poignarde avec ma langue bien polie,
L’homme que je tue, l’homme que je nie,
Cet inconnu qui est mon frère
Et qui m’offre l’autre joue
Quand je crève son œil d’agneau larmoyant,
Cet homme qui pour les autres est mort assassiné,
Hier, avant-hier, et avant ça, et encore,
Dans ses pauvres pantalons pendants de surhomme.
J’écrirai avec deux mains
Le jour que je me tairai.
J’avancerai les genoux raides
La poitrine pleine de seins
Malade de silence rentré.
Je crierai à plein ventre
Le jour que je mourrai
Pour ne pas me renverser quand tes mains me devineront
Nue dans la terre brûlante.
Je m’étranglerai à deux mains
Quand ton ombre me lèchera
Ecartelée dans ma tombe où brillent des champignons.
Je me prendrai à deux mains
Pour ne pas m’égoutter dans le silence de la grotte.
Pour ne pas être esclave de mon amour démesuré,
Et mon âme s’apaisera
Nue dans mon corps plaisant.

                                 *

Tu avances ton cheval de bois
Ta mince lame de chair
Forte de la blanche odeur de l’enfance
Tendu devant toi
Décidé à percer la grosse indifférence
Des champignons vêtus de satin rose
Qui se couchent dans ton chemin
De chevalier sans barbe
Sans tache et sans braguette.
Tes mains fourrageaient dans mon sein entr’ouvert
Bouclant de boucles blondes
Pinçant des mamelons
Faisant grincer mes veines
Coagulant mon sang.
Ta langue était grosse de haine dans ma bouche
Ta main a marqué ma joue de plaisir
Tes dents griffonnaient des jurons sur mon dos
La moelle de mes os s’égouttait entre mes jambes
Et l’auto courait sur la route orgueilleuse
Ecrasant ma famille au passage.

                              *

Vois, je suis dégoûté des hommes.
Leurs prières, leurs toisons,
Leur foi, leurs façons,
J’en ai assez de leurs vertus surabondantes,
Court-vêtues
J’en ai assez de leurs carcasses.
Bénis-moi folle lumière qui éclaire les monts célestes
J’aspire à redevenir vide comme l’œil paisible
De l’insomnie.
J’aspire à redevenir astre.


                                                       Joyce Mansour



(Extrait de « le surréalisme, même 2 »
directeur André Breton, revue trimestrielle,
printemps 1957)



samedi 29 mai 2010

Rainer Maria Rilke - Inquiétude

au fond de la forêt fanée est un appel d’oiseau,
qui sans raison resplendit dans cette forêt fanée.
Et pourtant cet appel rond d’oiseau
se repose dans l’instant qui le créa,
large comme un ciel sur la forêt fanée.
Docilement tout vient prendre place dans ce cri :
le paysage tout entier semble y contenir sans bruit,
le grand vent semble s’y lover,
et la minute, qui veut s’en aller,
est blême et muette, comme si elle savait les choses,
qui nous obligeraient à mourir,
montant de lui.

Rainer Maria Rilke, 21.10.1900, Berlin-Schmargendorf
( “Livre d’images”  deuxième partie )






lundi 24 mai 2010

Roger Caillois - “L’écriture des pierres “ (extrait)



"L'homme a hérité sans le savoir d'un capital d'insolences
immémoriales, de hardiesses malheureuses, de paris ruineux, dont la persistante audace, d'abord accumulée en vain, devrait un jour faire germer pour lui une grâce inédite et rebelle. En elle se conjuguent l'hésitation, le calcul, le choix, la patience, la ténacité, le défi.
Je suppose un Dieu, une intelligence totale, panoramique au sens fort du terme, capable de percevoir en un seul spectacle ces vicissitudes infinies et leur inextricable commerce. Cette conscience hypothétique, à qui rien n'échapperait, ne s'étonnerait pas qu'il existe, elle constaterait, au contraire, sans surprise, une connivence durable, imprescriptible, entre la série des féconds avortements et leur dédicataire universel. Il lui paraîtrait inévitable qu'une secrète affinité permette à l'héritier de reconnaître dans l'écheveau déroutant celle des tentatives aventureuses qui ont tourné court, mais dont la faillite même lui ouvrit un chemin royal."
 
 
—  Roger Caillois - “L’écriture des pierres “
                                                                                                                                                                                                                                     



jeudi 20 mai 2010

Ossip Mandelstam "Le bruit du temps" (extrait)


« Je désire non pas parler de moi, mais épier le siècle, le bruit et la germination du temps. Ma mémoire est hostile à tout ce qui est personnel.
Si cela dépendait de moi, je ne ferais que grimace au souvenir du passé. Je n’ai jamais pu comprendre les Tolstoï et les Aksakov, les petits-fils Bagrov, amoureux des archives familiales avec leurs épopées de souvenirs domestiques.
Je le répète, ma mémoire est non pas d’amour, mais d’hostilité, et elle travaille non à reproduire mais à écarter le passé. Pour un intellectuel de médiocre origine, la mémoire est inutile, il lui suffit de parler des livres qu’il a lus, et sa biographie est faite.
Là où, chez les générations heureuses, l’épopée parle en hexamètres et en chronique, chez moi se tient un signe de béance, et entre moi et le siècle git un abîme, un fossé, rempli de temps qui bruit, l’endroit réservé à la famille et aux archives domestiques.
Que voulait dire ma famille ? Je ne sais pas.
Elle était bègue de naissance et cependant elle avait quelque chose à dire.
Sur moi et sur beaucoup de mes contemporains pèse le bégaiement de la naissance. Nous avons appris non à parler, mais à balbutier et ce n’est qu’en mêlant l’oreille au bruit croissant du siècle et une fois blanchis par l’écume de sa crête que nous avons acquis une langue. »

Ossip Mandelstam  "Le Bruit du temps  (extrait), publié en 1925 et rédigé en Crimée dès 1923.

mardi 18 mai 2010

Comte de Lautréamont "Les chants de Maldoror" Chant IV, 4

Hans Bellmer, Les chants de Maldoror, Deux méduses, 1971
 Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent, vomissent. Les croûtes et les escarres de la lèpre ont écaillé ma peau, couverte de pus jaunâtre. Je ne connais pas l’eau des fleuves, ni la rosée des nuages. Sur ma nuque, comme sur un fumier, pousse un énorme champignon, aux pédoncules ombellifères. Assis sur un meuble informe, je n’ai pas bougé mes membres depuis quatre siècles. Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu'à mon ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Cependant mon cœur bat. Mais comment battrait-il, si la pourriture et les exhalaisons de mon cadavre (je n’ose pas dire corps) ne le nourrissaient abondamment ? Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles. Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa bouche, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable d’entrer dans votre cerveau. Sous mon aisselle droite, il y a un caméléon qui leur fait une chasse perpétuelle, afin de ne pas mourir de faim : il faut que chacun vive. Mais, quand un parti déjoue complètement les ruses de l’autre, ils ne trouvent rien de mieux que de ne pas se gêner, et sucent la graisse délicate qui couvre mes côtes : j’y suis habitué. Une vipère méchante a dévoré ma verge et a pris sa place : elle m’a rendu eunuque, cette infâme. Oh ! si j’avais pu me défendre avec mes bras paralysés ; mais, je crois plutôt qu’ils se sont changés en bûches. Quoi qu’il en soit, il importe de constater que le sang ne vient plus y promener sa rougeur. Deux petits hérissons, qui ne croissent plus, ont jeté à un chien, qui n’a pas refusé, l’intérieur de mes testicules : l’épiderme, soigneusement lavé, ils ont logé dedans. L’anus a été intercepté par un crabe ; encouragé par mon inertie, il garde l’entrée avec ses pinces, et me fait beaucoup de mal ! Deux méduses ont franchi les mers, immédiatement alléchées par un espoir qui ne fut pas trompé. Elles ont regardé avec attention les deux parties charnues qui forment le derrière humain, et, se cramponnant à leur galbe convexe, elles les ont tellement écrasées par une pression constante, que les deux morceaux de chair ont disparu, tandis qu’il est resté deux monstres, sortis du royaume de la viscosité, égaux par la couleur, la forme et la férocité. Ne parlez pas de ma colonne vertébrale, puisque c’est un glaive. Oui, oui... je n’y faisais pas attention... votre demande est juste. Vous désirez savoir, n’est-ce pas, comment il se trouve implanté verticalement dans mes reins ? Moi-même, je ne me le rappelle pas très clairement ; cependant, si je me décide à prendre pour un souvenir ce qui n’est peut-être qu’un rêve, sachez que l’homme, quand il a su que j’avais fait vœu de vivre avec la maladie et l’immobilité jusqu'à ce que j’eusse vaincu le Créateur, marcha, derrière moi, sur la pointe des pieds, mais, non pas si doucement, que je ne l’entendisse. Je ne perçus plus rien, pendant un instant qui ne fut pas long. Ce poignard aigu s’enfonça, jusqu'au manche, entre les deux épaules du taureau des fêtes, et son ossature frissonna, comme un tremblement de terre. La lame adhère si fortement au corps, que personne, jusqu'ici, n’a pu l’extraire. Les athlètes, les mécaniciens, les philosophes, les médecins ont essayé, tour à tour, les moyens les plus divers. Ils ne savaient pas que le mal qu’a fait l’homme ne peut plus se défaire ! J’ai pardonné à la profondeur de leur ignorance native, et je les ai salués des paupières de mes yeux. Voyageur, quand tu passeras près de moi, ne m’adresse pas, je t’en supplie, le moindre mot de consolation : tu affaiblirais mon courage. Laisse-moi réchauffer ma ténacité à la flamme du martyre volontaire. Va-t’en... que je ne t’inspire aucune piété. La haine est plus bizarre que tu ne le penses ; sa conduite est inexplicable, comme l’apparence brisée d’un bâton enfoncé dans l’eau. Tel que tu me vois, je puis encore faire des excursions jusqu'aux murailles du ciel, à la tête d’une légion d’assassins,  et revenir prendre cette posture, pour méditer, de nouveau, sur les nobles projets de la vengeance. Adieu, je ne te retarderai pas davantage ; et, pour t’instruire et te préserver, réfléchis au sort fatal qui m’a conduit à la révolte, quand peut-être j’étais né bon ! Tu raconteras à ton fils ce que tu as vu ; et, le prenant par la main, fais-lui admirer la beauté des étoiles et les merveilles de l’univers, le nid du rouge-gorge et les temples du Seigneur. Tu seras étonné de le voir si docile aux conseils de la paternité, et tu le récompenseras par un sourire. Mais, quand il apprendra qu’il n’est pas observé, jette les yeux sur lui, et tu le verras cracher sa bave sur la vertu ; il t’a trompé, celui qui est descendu de la race humaine, mais, il ne te trompera plus : tu sauras désormais ce qu’il deviendra. Ô père infortuné, prépare, pour accompagner les pas de ta vieillesse, l’échafaud ineffaçable qui tranchera la tête d’un criminel précoce, et la douleur qui te montrera le chemin qui conduit à la tombe.

Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Chant IV, 4  








lundi 17 mai 2010

GABRIEL AUDISIO "Adage"

La cruauté d'un astre
     N'est pas toujours où vous pensez
Car sa lumière ne dit pas aux insensés
      L'heure établie par l'ange du désastre.

(extrait des "Poèmes du lustre noir")


                                                                L'ombre inverse

jeudi 6 mai 2010

Durga

Dourgā ou Durga (sanskrit: दुर्गा, littéralement L'inaccessible) est l'un des épithètes de Parvati, consort de Shiva, considérée comme la shakti (l'énergie) de l'Absolu impersonnel et adorée seule (signe de sa toute-puissance), à la différence de Parvati. C'est l'une des divinités principales du panthéon hindou.
 http://fr.wikipedia.org/wiki/Dourgâ