lundi 28 mars 2011

JOYCE MANSOUR - Du doux repos / Chant des cuirassés

Prends vite une plume
Ecris
Je volerai je volerai
L'orbite de la lune sauvage
Les grêles sanglots des vagues
Venues de l'autre rive
Vagues vaguelettes bandelettes et babillage
Ecris
Roule entre mes bras
Ainsi qu'un caillou entre le ciel et le fond
D'un puits
Le sable sauvegarde l'aveugle
Sur le parchemin de sa nuit
Prends vite du papier
Ecris
Suis-moi entre les plates-bandes
Tranchées béquilles épines
Ecoute
Les confidences de la rose
Mâchées hachées anodines
Ecris donc sur le dos d'un raz-de-marée
Grave ton signe
Mille fois inscrit
La joie muette de l'ordure
Sous les voiles soumises
De l'aqua-marine
Trace
Le trait indélébile
La marque sanguinaire qui barre la face ultime
Mon vert cœur épris O maléfices de la lune
Signe résolument de la verge hautaine
Sur le masque et le heaume de l'escargot cacheté
Ecris signe barre
Je me noie dans l'encrier du moindre mot
Jamais

Hélas je voudrais me dévêtir
Insoucieuse de l'hyménée
Arabe
Et mourir
Sanglante
Debout
Le géotrupe le loup
Pâles édifices horribles
Imaginations supérieures
Chevelures de ma grande hantise
O loup au loup aux loups


(In «La Brèche » N°8 novembre 1965)


jeudi 24 mars 2011

Jean-Claude SILBERMANN - HOTEL DU SANS VISAGE

Aux grands transparents
en hommage à leur discrétion infinie.

Je suis entré comme un gangster
Derrière le bar une femme
(Guillaume ses dents étaient des mouettes sur la bouée de sa voix)
me lança l'amarre d'une histoire
en peau de lapin
« Connaissez-vous, me demanda t-elle, celle du monsieur qui
s'était jeté dans ses propres yeux ? 
Je l'écoutais sans comprendre
le cœur serré comme une bottine
sur une cheville de noyée 
et les clients accoudés au vent du large
regardaient le spectre des carrières
reprendre du rosé
On m'apporta dans les bouteilles de persiennes
des alcools de broderies déchirées par les chats
et un homme sans yeux
sans bouche sans nez et sans oreille
sortit à cloche-pied
de la tour des marelles en ruine dans mon verre
Tout abîme et silence
et plus secret que l'étincelle
absente
d'où jaillissent les rayons de l'oursin
il braquait sur moi un pistolet
automatique comme chance et malchance
Puis les sombres paysannes
en coiffe de mercure
apparurent dans les fleurs du papier mural
où le peuple des morts les tenaient prisonnières

*

L'une d'elles s'avança et dit :
«  Il fait nuit
une femme marche sur une route
Elle va où va son ombre engloutie plus loin comme un navire
Plus loin il y a une scierie éteinte sur son parfum
et c'est là qu'elle a rendez-vous bien qu'elle n'ait pris aucun
rendez-vous
Déjà les herbes enlacent ses chevilles
Entend-elle l'aile
unique d'une porte
qui se débat
Elle se hisse sur la pointe des pieds
vers une vitre brisée...
Demain le chemineau qui s'était introduit dans la scierie pour
y dormir découvrira une femme morte
debout dans l'herbe grimpante
Il creusera une tombe
plus profonde que cette boule de cristal
puis il fera glisser la terre
sur eux deux
Suis-moi et tu verras » 

*

J'ai vu un homme traqué par toutes les polices
changer de train
et croiser sans le savoir
une ombre à qui il aurait pu se fier
J'ai vu quelqu'un chercher quelque chose
qu'il croyait avoir égaré quelque part
et qui ne se souvenait plus de rien
et avec lui j'arrivais à l'hôtel du sans visage
Ni porte ni mur
à cette demeure aimantée
j'y suis sans connaissance
le mort et le cortège
Aucun chemin n'y mène
elle est où je vais quoiqu'il arrive
elle est où je suis comme un mot transparent
Si je la cherche elle me fuit
si je l'ignore je la trouve
à la croisée des désirs errants
Et la neige cérémonielle
se détache du toit
C'est en elle que je suis né
et c'est en elle que je mourrai
sans laisser de trace
sans laisser plus de trace
que sur une porte close
un signe de vagabond
Dans la salle des éperdus
l'attente est attendue
Rien à perdre
que ce venimeux souci
d' insouciance

*

Toute pierre lancée au hasard se dirige avec une étonnante précision, vers l'endroit
qu'elle finira par atteindre.

Il y a deux licornes dans la forêt
l'une est noire l'autre est blanche
et toutes deux nous mangent dans la main
L'une disparaît en tirant jusqu'aux lacs
les grandes fourmilières métaphysiques
l'autre pénètre dans les haies de hiboux
et se dissout dans leur fuite
Chez les marchands de souvenirs
des touffes de leur pelage sont vendues dans
des médaillons
plus fragiles que le pouls d'une femme endormie
Ni prière ni exaucement ni épreuve ni mérite
ni lutte ni salut
rien qu'une femme endormie
dans le feuillage de l'arbre transparent
où se postent les oiseaux de mer
rien que la grande scie de la mer
comme une image pieuse déchirée
rien qu'une goutte d'eau glissant comme une tête réduite entre
les doigts d'un indien Jivaro qui regarde tomber la pluie
et cette ultime chute fait déborder mon insomnie
mais qu'importe
qu'importe que rien n'importe puisque rien n'importe
rien qu'une étincelle dans la foulée des chevaux
rien qu'une étincelle
pour naître et mourir dans la soif de l'instant

(In "La brèche" n°4 février 1963)




lundi 21 mars 2011

TOYEN ( Marie Čermínová ) surrealist drawings, collage and paintings


http://fr.wikipedia.org/wiki/Toyen

                                                                        

 



jeudi 17 mars 2011

Georges Bataille - À perte de vue - Un film de André S. Labarthe (1997)

"Un siècle d'écrivains/A Century of Writers" is a 50-minute documentary program co-produced by Amip-France 3.

André S. Labarthe, well-known as co-founder and original developer of "Cinéma, de notre temps", here portrays the French writer Georges Bataille (1897-1962), whose work ventures, at the same time, into the fields of literature, anthropology, philosophy, economy, sociology and history of art.

Initially broadcasted on 30 April 1997, the film contains the interviews with Pierre Klossowski and Jacques Pimpanneau. The French title could be translated as "As-Far-as-The-Eye-Can-See (At the Limit of Vision)", which may well constitute a literary reference to the Bataille's first book, "Story of the Eye".

"Comment saisir à mains nues la pensée la plus volcanique du siècle ? Comment approcher par le film ce qui se dérobe à toute approche ?
Comment le cinéma – "art de l’image", dit-on – peut-il accueillir et laisser vivre les images inadmissibles qui tissent des récits tels que "Madame Edwara" et "Le Mort" ?
Bref, comment parler de Georges Bataille dans un film quand on sait ce film impossible ?" André S. Labarthe. 




Nuits magnétiques - Georges Bataille à perte de vue : l'impossible et le cinéma




mercredi 16 mars 2011

Cergio Prudencio "Cantos crepusculares I" (1999)

- Orquesta Experimental de Instrumentos Nativos, La Paz / Leitung: Cergio Prudencio.
Cergio Prudencio est né en 1955 à La Paz en Bolivie.



lundi 14 mars 2011

Atelier & cahiers de Cerkita Zongho

Déambulation chancelante dans l'atelier de Cerkita Zongho,
entre collages, peintures, mots, pinceaux, plumes, encres et pastels...
Mise en son de Zaz Zetoun Mind.




vendredi 11 mars 2011

Henri d'Ursel "La Perle"

Henri d'Ursel "La Perle" 1929 - Screenplay by Georges Hugnet- Composition by Mireille Capelle


"The count Henri d'Ursel shot La perle (The Pearl) under the pseudonym of Henri d'Arche "in the flush of inexperience", as he put it. D'Ursel made only one film, based on a screenplay by the poet Georges Hugnet. In a Paris straight out of the serials of Louis Feuillade, the hero goes in search of a pearl which constantly disappears in a string of bizarre encounters - sneak thieves in a hotel wearing body stockings à la Musidora, a beautiful fiancée on a bicycle and a somnambulist walking the rooftops in a night-shirt, amorous fantasies in the undergrowth. Hugnet himself played this waking dreamer, haunted by an unending eroticism reflected in the images."

"Seven composers wrote the music for these unique films: Joachim Brackx, Eric Sleichim, Jan Van Outryve, Annelies Van Parys (in residence at Transparant) and Mireille Capelle, Geert Callaert and Thomas Smetryns (in residence at HERMESensemble). The works for ensemble are performed by the HERMES ensemble conducted by Koen Kessels."


Directed by:
Henri d' Ursel

Writers:
Georges Hugnet

Cast:
Georges Hugnet → Le jeune homme
Kissa Kouprine → La voleuse
Renee Savoye → La somnambule (as Renée Savoy)
Mary Stutz → Lulu - La fiancée du jeune homme

Country:
Belgium

Release Year:
1929

jeudi 10 mars 2011

Katrine Mafaraud

La tête  tranchée

Dans ce cerveau-ferblantier qui traîne
Tant d’impossibles deltas
Dans cette tête mal mise en équilibre
Comme sur un cendrier
Dans cet esprit nomade et planeur
Rhapsode n’ayant plus que les mots
A unir à détruire aussi
Dans cette infirmité essentielle
Qui embrase le cou et ses colliers d’organes
Dans cette bouche-batterie
Où gémit le laser d’un muscle en sang
Dans cette incohérence faciale
Où la prunelle avant toute autre
Saute le pas sans jamais s’identifier
Décryptant pour une chaleur interne
Et douteuse ayant mal sans personne
Dans cet écho qui part de l’œil vision
Et atteint l’œil digestif du sexe
Dans ce chaos de pensées-foutre
Et de sensations pyramidales
Dans ce blockhaus de peaux d’écailles
Et de phalanges aux doigts
Dans cette demeure troglodytique
Et résolument souterraine
Où le corps est désavoué
Par ses propres visions
Dans ce trou veineux armé de couleurs
Je me dissous irrémédiablement.

Transfiguration

Le Dôme n’est pas vert bouteille
Il est vert d’eau soutenu eau de rivière
Mes yeux s’oblitèrent à chaque rencontre
Et je ne peux les retenir que par l’ombre
De mes mains qui sèchent
De mes doigts qui s’usent
Et de mes bagues qui ne servent à rien d’autre
Avoir en fin de corps
C’est-à- dire au commencement de tout
Quand l’autre dégage sa chaise
Et sort sa première cigarette
Avoir des dagues des bois des cornes et des griffes
Des poings au sexe et des coudes aux hanches
Des os saillants des muscles larges
Des écailles sur les zones érogènes
Une carapace sur le mental
Et un carcan pour la tendresse
Etre chauve être bistre
Ophidienne et tranquille
Putrescente et imprenable
Déformée défigurée
Immonde et assise
Le Dôme ne libère pas l’écho
Et mes restes s’accrochent une fois de plus
Des restes fragiles un peu rosés
Noués souvent de syllabes
Et rarement de mots
Des restes bon marché
Puérils et femelles
Il faudra donc s’habiller de pourpre et de carmin
Attendre la transfiguration
Utiliser tout comme une arme
Préparer préméditer et tromper
Puis se taire
Il faudra en attendant d’être un monstre
Oublier définitivement le langage.


(Extraits de "Je suis laide aujourd’hui comme une cathédrale" - Pierre Perrin – Possibles éd., 1978)

dimanche 6 mars 2011

HELENE JUNG "La vierge au donateur"

Mort, je  m’exalte de ton goût prématuré
Et je pressens  obscurément ta jouissance.
Dès maintenant, je marche grave à tes côtés
Pour colorer ma vie près de ton Existence.

Sur le calice ruisselant des agonies,
Sur la lie incarnate et froide qu’on boira,
Laisse- moi respirer ton odeur infinie,
Ton étrange parfum nocif de daturas.

Ainsi  la momie de Thaïs, nue, entravée
D’algues de pourpre des bandelettes sacrées
- Morte courtisane aux caresses sans échos
Qui serre dans ses frêles mains passionnées,
Couleur de cendre, une rose de Jéricho,
Et qui sait la saveur de ces minutes telle
Qu’on la dirait la reine immobile de l’air,
Jouit d’une volupté suprême dans sa chair
Volée un peu de temps à la mort éternelle !

Le jour où je vous dirai "Toi"
Nous serons alanguis de lascives musiques
Dont les sons allongés frôlent les épidermes
Jusqu’au moment où, frénétiques,
Les désirs germent
Comme des fleurs de chair, brutales et mystiques.
Sauvagement, nous unirons nos cruautés
En baisers qui se font morsures,
En spasmes qui se font tortures
Et vous ne serez plus l’idole froide et pure,
Vous humaniserez enfin votre beauté,
Vous appellerez la luxure
De tous vos sens exaspérés
Et vous aurez soif de plaisir et de joie.

Le jour où je vous dirai "Toi"
Vous serez ma proie ardente et hurlante
Et vous serez à moi, bien à moi, toute à moi.


 (extrait de « Quelques poètes frénétiques » de la revue « Plein chant » N° 37-38 (1978)


http://www.pleinchant.fr/






samedi 5 mars 2011

Michael Bertiaux














































http://www.kaosphorus.net/4706/michael-bertiaux


LCN, OTOA and the Voudon Gnostic Magical System
of Michael Bertiaux part one


LCN, OTOA and the Voudon Gnostic Magical System 
of Michael Bertiaux part two

jeudi 3 mars 2011

BOUCONNE III/ III/ XI













MANUEL ALVAREZ BRAVO

Manuel Álvarez Bravo, pionero de la fotografía artística en México, es considerado como el mayor representante de la fotografía latinoamericana del siglo XX. Su obra se extiende de finales de la década de 1920 a la de los noventas.
Nace en el centro de la capital mexicana el 4 de febrero de 1902. Interrumpe sus estudios a los doce años al fallecer su padre y comienza a trabajar para ayudar en la economía familiar, en una fábrica textil y posteríormente en la Tesorería General de la Nación.Su abuelo, pintor, y su padre, maestro, eran aficionados a la fotografía. El descubrimiento temprano de las posibilidades de la cámara le hará explorar en autodidacta todos los procedimientos fotográficos, así como las técnicas de la gráfica.

En un inicio aborda el pictorialismo, influido por sus estudios de pintura en la Academia de San Carlos. Explora luego las estéticas modernas, con el descubrimiento del cubismo y las posibilidades de la abstracción. En 1930 se inicia en la fotografía documental: Tina Modotti, al ser deportada de México, le deja su trabajo en la revista Mexican Folkways. Así trabaja para los pintores muralistas: Diego Rivera, José Clemente Orozco, David Alfaro Siqueiros.
Álvarez Bravo es una figura emblemática del periodo posterior a la Revolución mexicana conocido como renacimiento mexicano. Fue aquel un periodo cuya riqueza se debe a la feliz, aunque no siempre serena, coexistencia de un afán de modernización y de la búsqueda de una identidad con raíces propias en que la arqueología, la historia y la etnología desempeñaron un papel relevante, de modo paralelo a las artes. Álvarez Bravo encarna ambas tendencias en el terreno de las artes plásticas.
De 1943 a 1959 trabaja en el cine realizando fotografías fijas, lo que lo lleva a producir algunos experimentos personales.En vida, presentó más de 150 exposiciones individuales y participó en más de 200 exposiciones colectivas. Según numerosos críticos, la obra de este "poeta de la lente" expresa la esencia de México, pero la mirada humanista que refleja su obra, las referencias estéticas, literarias y musicales que contiene, lo confieren también una dimensión universal.

Falleció el 19 de octubre de 2002, a los cien años.






mercredi 2 mars 2011

ANDRÉ DELONS

L’INCANTATION DU GRAND DESASTRE*

Lourde des trois saisons suspendues à sa tête
marchant par le hasard et disant le destin
la voix tremble en voyant quel sera l’espace
trois visages imprévus se rencontrent soudain
et dansent devant elle pour éprouver l’orage

goth  veineiénéla  veinen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Le cadavre en passant perdait ses oubliettes
et rentrait dans le sol bien armé de ses dents
mais la dame soudain lui montrait les cachettes
où les aigles mortels s’effondraient en criant

goth  veineiénéla  venen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Pour danser sur la braise il faut mourir avant
répondaient les oiseaux les doux oiseaux de poudre
et les yeux qui montaient à la corde des ombres
et les yeux qui blessaient les yeux des fins du monde
abattus sur les eaux laissaient tourner le vent

goth  veineiénéla  veinen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Mais l’arbre des unions n’entendait pas merveille
la cloche inespérée se mariait au feu
et l’ordre d’avancer chanté par les corneilles
se lava de vin tiède et fit la part des dieux

goth  veineiénéla  veinen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Alors quatre géants descendus des abîmes
portés par l’Animau qui buvait ses aïeux
assis sur les décombres éteignant les victimes
firent tomber les fruits en chantant leurs adieux
goth
goth
goth  veineiénéla  veinen  goth
                                           veineiénéla  veinen
                             veinen  veineiénéla  veinen
                  goth  veinen  veineiénéla  veinen               
                                                                                       goth

(*)Le grand Jeu, n°3 (octobre 1930). Le poème date en fait de 1929, et Delons l’avait proposé d’abord aux Cahiers du Sud.


                                                             
                                                                         ***
 

      Certaines musiques devenues reines, établies en plein silence, et fracassantes dans leur douceur,
certaines musiques douées de coups d’épaules et  de larges océans d’ombre, remuaient, remuaient,
mangeaient l’espace à pleins nuages, et soudain, à l’heure de la marée basse, accentuées par un tonnerre invisible et secret, se précipitaient devant lui : chants de bouche close, avec les vraies paroles lourdes et inexprimables. Chant de l’abandonné et chant du grand Convive.

       Le promeneur habité du désastre, se retrouve un jour à errer seul au bord d’une plage sèche, lavée de vents, et parfaitement immense. Il avance comme on dormirait. Plus tard, il s’agira peut-être de retrouver quelque chaleur, d’aborder avec modestie les tables où s’assemblent des personnes rieuses, et de tenir un langage perpétuellement trébuchant, renouvelé par la lumière qui tombe, le feu qui couve, la lumière qui s’allume et l’heure. Il se souvient qu’étant enfant et presque dans les mêmes circonstances- les mêmes vraiment, tout à fait les mêmes, si ce n’est qu’un objet réel, ici, qu’un corps réel, qu’un regard réel font tout son trouble, alors que jadis sans doute ce n’était que le souvenir prémédité de cette absence qui était son dénuement- il lui arrivait de passer au bord d’une maison où une femme incertaine jouait avec insouciance sur un piano. Cette musique le surprenait et le calmait, avec tous les signes d’une promesse qu’on jetterait devant lui, dans le vide, pour son propre vide, avec les doigts même du hasard. Il n’y avait pas de doute que l’ombre portée par ces mains sur ce clavier ne fût celle même qui bougeait sur la ligne de ses pas et qu’une même connaissance agissait de l’une à l’autre ombre, en dépit des apparences de légèreté ou de joie étrangère, ou encore de nullité, qui parcouraient à cet instant les gammes profondes, de l’autre côté de lui, au fond de la lumière autour de laquelle tournaient les gens heureux. Il n’y a pas de regard plus sûr qu’un chant qui s’abat sur les épaules dans l’obscurité du malheur.


( André Delons « du Grand Jeu » Poèmes 1927-1933 suivi de L’homme désert » Extraits.
Textes réunis et présentés par Alain et Odette Virmaux, éditions Rougerie 1986. )

Artür Harfaux - Portrait de André Delons et Maurice Henry,

http://fr.wikipedia.org/wiki/André_Delons

mardi 1 mars 2011